L’enfant de Gisèle.
Louise, vivait dans un village du sud ouest de la France avec ses deux jeunes enfants, tout en haut de sa butte, dans la rue du calvaire.
On pouvait accéder à sa maison et à son atelier de couture par différents escaliers.
A chaque escaliers, il y avait des escales sur trois niveaux, de toutes petites ruelles en parallèles, d’où les anciens, de leurs portes face à face, pouvaient le soir à la fraîche, assis sur leurs chaises de paille, parler du bon vieux temps.
Au premier niveau par le bas, vivait une femme d’une quarantaine d’année, avec un look un peu gothique, fine et grande avec de très longs cheveux bruns.
Elle se nourrissait de brèves, lues dans le journal Détective ou bien dans la Dépêche du midi et ne manquait pas, au moins trois fois par semaine, sur les coups de deux heures à l’ouverture de l’atelier, de venir faire des résumés a Louise, sur des crimes et faits divers, plus atroces les uns que les autres.
Elle s’était attaché à Tom qui souffrant d’une maladie rare, était plus gros que les autres enfants, et du coup, la risée des gamins du village (bien que protégé par les profs de l' école primaire, par la majorité des parents et par le Maire.)
La femme au look gothique avait un fils qui était grand, fin, avec les cheveux noirs corbeau tout comme sa mère.
Toujours le nez dans ses bouquins on ne le voyait pas beaucoup dans les rues du village, un peu écorché, abandonné par son père il baladait son indifférence :
Les mauvais coups, les lâchetés, quel importance! * (1)
Il étudiait le droit, il visait le master et voulait être juge des tutelles au tribunal d'instance de Toulouse.
La voisine du premier niveau par le bas, s’appelait Gisèle, elle grimpait les escaliers comme une gazelle, au passage elle prenait Tom qui l’attendait de pied ferme et ensemble, ils montaient le long chemin du calvaire qui, par les jours de printemps était bordé de lilas.
Tout en haut, sous la grande croix, elle lui racontait l’histoire du petit jésus en commençant par les soldats romains qui, avant de le clouer sur la croix, par les mains et sur ses pieds croisés, se moquaient de lui et de sa royauté, en le coiffant d'une couronne garnie d'épines.
Louise ne savait pas trop sur quel pied danser, mais son gamin qui avait eu le crâne ouvert façon trépanation -truc qui consiste à percer la boîte crânienne pour atteindre le cerveau- n’était pas choqué plus que ça, par cet homme cloué, grandeur nature, sur cette croix.
Pendant toute la convalescence de Tom, ils ont monté la butte, plusieurs fois par semaine pour, disait elle, qu’il perde du poids.
Tom ne se vexait pas, elle était gentille...
Puis Tom est retourné en classe, Ghislaine venait de moins en moins souvent à l’atelier, mais Louise et elle avaient toujours des échanges sympas quand elles se croisaient.
Quelques temps après leur dernière rencontre, un samedi en début d’après midi, l’adjoint au maire du village, est venu frapper à la porte de l’atelier.
Quand Louise a ouvert, des cris inhumains résonnaient dans les escaliers, les villageois étaient atterrés, sur tout les paliers.
Habituée aux grâces matinées réparatrices du futur juge des tutelles de tribunal d’instance, sa mère ne l’avait pas dérangé, mais à treize heures, comme il n’était toujours pas debout, elle s’est approché du lit pour le réveiller.
Il était paisiblement allongé, simplement comme ça, sans souffle, sans vie.
Le service du coroner a mené une enquête pour ce décès, cette mort inattendue, suspecte, mais elle était juste soudaine, inexplicable, naturelle.
Les villageois ont été généreux, tous ont donné, les riches, les pauvres, tous ont contribué et mis des sous dans la boite qui tournait de maison en maison, pour que Gisèle puisse régler les obsèques et tout ce qui va avec.
Le jour de l’enterrement, elle était assise à l’arrière d’une voiture, une jambe sortant de la portière, les deux mains accrochées au repose tête du siège avant, elle hurlait, secouée de sanglots: ‘’non non je ne veux pas y aller, non non, c’est pas lui, c’est pas lui, je ne veux pas y aller c’est pas lui...’’
Louise ne s’est pas approché de la voiture, elle n’avait pas les mots, de toute façon Gisèle ne l’aurait pas vu, elle était ailleurs terrifiée, terrifiante.
Durant les mois qui suivirent, les rares fois ou elle descendait l’escalier, elle ne levait pas les yeux, sans son enfant, elle n’était que chagrin.
Louise se sentait coupable d’avoir toujours son Tom, sauvé de justesse de sa tumeur au cerveau, riant et mordant la vie à pleine dent.
Et
puis, un jour de l’année suivante, alors que Louise roulait en voiture
sur la route qui mène à la gare, elle a reconnue sa silhouette, son look
un peu gothique, fine et grande avec de très longs cheveux bruns. Elle
marchait sur le bas coté de la route étroite et sans trottoir, un homme
élégant tenait son bras.
Il avait la même taille, la même silhouette. C'etait la copie conforme de son fils, le père était revenu.
*(1)Gilbert Bécaud – L'Indifférence.